Quand les addictions sont une réponse toxique au stress en milieu de travail
Une récente étude montre une aggravation de l’usage de psychotropes (alcool, stupéfiants et médicaments) pour faire face au stress et aux angoisses en milieu de travail. Aucun secteur d’activité n’est épargné par l’usage de ces substances psycho actives.
Les entreprises semblent exprimer un déni à ce propos qui n’a d’égal que le développement des dépendances (addictions) à propos desquelles de plus en plus de femmes sont concernées et… victimes. Que faire, et comment faire, pour limiter la casse sachant que ces cadres s’enjoignent de satisfaire à des injonctions paradoxales d’une part et ont toutes les peines du monde à s’affirmer d’autre part.
Définition d’une substance psycho active ou psychotrope
Il y a trois substances psycho actives:
- Les psycho stimulants: alcool, cocaïne
- Les psycho dépresseurs: héroïne, crack
- Les hallucinogènes: champignons hallucinogènes, crack, cannabis
Il y a une dizaine d’années, il était convenu que la France comptait (environ):
- 800 000 héroïnomanes
- 3.5 millions de pharmaco dépendants
- 5 millions de malades alcooliques
A ce jour, si l’usage d’héroïne semble avoir diminué, la cocaïne a supplanté bien des psycho stimulants comme, par exemple, l’alcool. Ce même alcool souvent consommé avec de… la cocaïne !
Aucune statistique ne permet de préciser le nombre de cocaïnomanes. Ces chiffres semblent être en constante augmentation et plus aucune sphère sociale ou professionnelle n’est épargnée.
Une substance psycho active est considérée comme telle à compter du moment où les conséquences de son usage modifient le comportement. Chacun de ces psychotropes agit sur le système nerveux central et en modifie les paramètres. De fait, les usagers n’ont plus conscience de leurs limites et prennent des risques pour s’affirmer ou supporter l’insupportable.
Les motivations à l’usage de psychotropes
Il est de coutume de dire que l’usage de substances psycho actives est une question d’opportunité sociale et culturelle. Cela signifie que c’est en fonction de votre environnement social, affectif, ou culturel (pour ne citer qu’eux) que vous consommerez une substance ou une autre. Mais c’est aussi en fonction de votre objectif (ce à quoi vous désirez échapper ou ce vers quoi vous tendez) que vous utiliserez une substance plutôt qu’une autre.
Ainsi, pour vous désinhiber, l’alcool ou la cocaïne sont plus indiqués. Dans le cas où vous souhaitez plutôt échapper à une réalité qui vous fait souffrir, sans que vous soyez pré occupé de produire, les psycho dépresseurs (héroïne, crack) sont plus majoritairement utilisés. Chaque substance a ses effets qui justifient les usages de chacun ou chacune.
En milieu de travail, il est beaucoup plus habituel de consommer de l’alcool ou de la cocaïne. Mais il est tout autant d’usage de consommer des médicaments tels que des anxiolytiques, des anti dépresseurs ou des neuroleptiques. Autant ces médicaments et l’alcool sont légaux, autant, comme vous le savez sans doute, l’usage de stupéfiants contrevient à la Loi.
Sans nier la réalité des conséquences psycho sociales de l’usage de substances psychotropes, la difficulté n’est pas nécessairement l’usage en soi mais bien plus le risque induit de dépendance.
Je me souviens de Claire, cadre dans une compagnie d’assurances. Ses responsabilités sont écrasantes. Ses journées se passent en réunion, en entretiens individuels avec ses subordonnés, en réponses circonstanciées à des mails urgents, en plus des mails qu’elle reçoit chaque soir, chez elle, et auxquels elle entend répondre tout de suite. Claire a le sentiment d’être en danger et pense que si elle ne satisfait pas à toutes les injonctions qui la concernent en sa qualité de Directrice de Département, d’aucuns lui raviront sa place sans vergogne !
Quand le sur investissement mène droit à la catastrophe
Claire commence à souffrir de problèmes d’endormissement, puis d’angoisses nocturnes. Sa vie professionnelle est un stress permanent. Elle est proche du burn out. L’anxiété finit par céder le pas aux angoisses récurrentes. Après avoir consulté son médecin traitant, Claire commence à utiliser des somnifères puis des anxiolytiques. Jusqu’au jour où, la pression étant trop forte, les angoisses trop vives, Claire prend un comprimé de plus, puis un autre. Les jours passent jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle a consommé bien plus de médicaments que la prescription médicale.
Les semaines et les mois passeront jusqu’à ce que cette jeune femme tombe en dépression. Arrêts de maladie, mésestime de soi, perte de confiance en soi. Sentiment d’échec. Hospitalisée, Claire finit par prendre acte de la nécessité d’agir. A ce jour, encore fragilisée, elle reprend pied petit à petit tout en se rendant compte de la façon dont elle a participé à ses propres difficultés.
Son employeur a finit par nommer quelqu’un à son poste. Claire est toujours employée dans cette compagnie mais n’envisage pas d’y retourner de peur de retomber dans le même cycle. J’ai contacté l’employeur de Claire pour mettre en place, avec la médecine du Travail, un retour progressif. Ne pouvant s’y opposer, l’employeur m’a quand même signifié: « OK, çà và ! Elle pousse pas les wagonnets au fond de la mine, non plus ! » (dixit).
Marc V. – 52 ans, chef d’entreprise, cocaïnomane
Quand il vient me consulter la première fois, je le vois arriver au volant de sa voiture de sport, une voiture de luxe. Une autre fois, je le verrais en 4X4, de luxe aussi. Marc a réussi. Une belle entreprise prospère, plus de 60 employés, des clients prestigieux. Marc travaille 15 heures par jour. Il est malheureux, triste, abattu. Mais Marc, « …doit tenir… » me dit-il. Comment? Avec ou sans la coke dont il consomme plusieurs grammes par jour.
Chaque jour, Marc doit s’assurer de conserver, voire d’augmenter, ses marges. Selon son expression, il tire des bordées pour diminuer les coûts. Tous les coûts. De moins à moins disponible, il a récemment appris que son épouse avait un amant. Il en a profité pour consommer encore plus de coke et… aller casser la gueule à son rival, ce qui lui a valu quelques ennuis judiciaires. Cet homme ne sait plus où il en est, et encore moins qu’elle est le sens de sa vie.
En près de 10 ans, il dit avoir l’équivalent d’une Ferrari dans chaque narine. Pour autant, il exige de ses employés comme de lui même, toujours plus. Il pense que réagir de la sorte lui renvoie de lui une image plus positive. Il s’enorgueillit d’avoir professionnellement réussi - à quel prix – alors que sa vie personnelle est un échec retentissant.
Il a du être hospitalisé. Quasiment contre son gré. Dans son entourage, personne n’osait rien lui dire, à lui, le patron. Jusqu’au jour où, hospitalisé, certains sont tombés de haut. Ils n’imaginaient pas que… Marc a voulu reprendre ses activités dès sa sortie de clinique. Ce qui a eu pour effet de le faire rechuter. Bien sûr.
Surmené, épuisé, il a fini exsangue. Il a de nouveau accepté d’être admis dans un centre spécialisé où il a séjourné deux mois. Quelques semaines après sa sortie de ce centre, il a mis son entreprise en vente. Depuis il cultive son jardin…
Marc est passé à un fil de la catastrophe. Il ne voulait pas lâcher. Il en faisait une affaire d’orgueil. Il n’était pas au clair avec ses propres limites. Cela a failli lui coûter la vie. Cette même vie que d’autres ont perdu pour satisfaire à des exigences toujours plus fortes.
Milieu de travail et course à la performance
Dans des environnements professionnels de plus en plus concurrentiels, la réponse habituelle consiste à en demander toujours plus. Afin d’aider l’ensemble des personnels à mieux gérer leur temps, à mieux gérer le stress de sorte être plus productifs, des formations ou des séminaires sont organisés.
Moins souvent qu’avant la crise économique de septembre 2008, et moins encore depuis la crise de septembre 2013, mais quand même, des entreprises offrent ce type de formations à leurs salariés. Dans le même temps, dans une injection paradoxale, ces même sociétés invitent leurs employés à faire, ou à donner, toujours plus. Celle ou celui qui défaille se sent coupable, puisque son employeur estime lui avoir donné des moyens, et s’impose de réussir sans tenir compte de ses propres limites.
La concurrence entre salariés (ex: les commerciaux) est d’autant plus rude que certaines entreprises n’oublient pas d’officiellement récompenser ses meilleurs éléments et… le fait savoir. La compétition est devenue un mode de vie. J’en veux our preuve la nomination régulière de « l’employé du mois » d’un grand de la restauration rapide.
Ainsi, les entretiens individuels de fin d’année en stressent plus d’un. Pour supporter, pour aller toujours plus loin, certaines personnes utilisent quotidiennement qui des médicaments qui d’autres substances (légales ou non). Le tout, bien évidemment, sans peu de considérations quant aux effets secondaires de ces usages excessifs voire dépendants (perte de mémoire, troubles anxieux, angoisses chroniques, troubles alimentaires, etc.).
Ces salariés n’osent pas parler de ce qu’il leur arrive et, quand ils le font c’est, le plus souvent, pour qu’une méthode leur soit offerte pour continuer à travailler sans encombres. « Donnez moi la solution sans rien changer ». De fait, pourquoi voudriez qu’une entreprise, ou une institution, ne soit pas dans le déni alors que ses propres employés sont dans le déni de leur propre réalité?
Alors, bien sûr, des lois ont été promulguées quant à la prévention et/ou la gestion des risques psycho sociaux. D’ailleurs, à diverses reprises, j’ai été mandaté pour pratiquer des audits de risques psycho sociaux. A chaque fois, force m’a été donné de constater que quelles que furent mes recommandations, il y avait toujours une bonne raison pour ne rien changer. Aucune prémisse de prise de conscience n’a été suivie d’effets. Pourquoi?
Sans doute parce que, du côté des employeurs comme de celui des employés, des peurs se sont installées quant aux conséquences de changements structurels ou comportementaux. Un milieu de travail a sa culture et ne souhaite pas, ni n’accepte l’augure, que des individualités modifient ces paramètres. Et, pour ce faire, chacun s’appuie avec force sur des questions d’intimité, de choix personnels, de choix adultes et responsables. Ce qui, vous en conviendrez, relève de la plus parfaite mauvaise. Un peu comme à propos du harcèlement.
Ainsi, je me souviens d’une très très grosse entreprise française dont un employé s’était tué au volant sur une zone interne à l’entreprise. Cet employé était ivre. L’affaire n’a pas fait grand nuit car, ce faisant, il eut été nécessaire de communiquer à propos des bars clandestins qui avaient pris racine en divers endroits de différents sites. Socialement trop lourd à gérer. Cette peur vaut-elle autant, si ce n’est plus, que le décès d’un être humain?
Aujourd’hui, en décembre 2013, la crise économique aidant, force est de constater que les angoisses vont bon train quant à la pérennité de son emploi. Force est de constater que tout le monde agit de sorte à conserver son poste sachant que, pour ce faire, chacun va exiger de lui même d’augmenter ses capacités de travail comme ses résultats. C’est comme s’il n’y avait plus de limites. En milieu de travail, l’usage de substances psycho actives se banalise autant que le dopage dans le sport. Tout le monde le sait mais quant à gérer ces sujets, cela semble relever de l’omerta, la loi du silence ! Et pourtant, il serait très simple d’agir de façon préventive et non d’attendre le drame.
Comment prévenir et gérer le stress, donc le dopage, des cadres
Les formations en tous genres ne se suffisent pas à elles mêmes. Persister dans cette voie, relève du cautère sur une jambe de bois !
Pour gérer et prévenir les risques psycho sociaux en milieu de travail, il convient de penser et concevoir une ou des stratégies d’intervention à court, moyen et long terme. La première des choses consiste à faire un état des lieux, plus communément dénommé: audit social. Mieux vaut confier cette tâche à un cabinet extérieur plutôt qu’à un cadre en interne lequel cadre sera, le plus souvent, sorti d’un placard ou d’une voie de garage.
Une fois cet audit réalisé, c’est à compter de ce moment là qu’une stratégie sera conçue. C’est bien volontiers que je conviens que la dimension pédagogique de telles opérations n’est pas très productrice, au sens de l’argent, puisque cela va coûter en hommes, et en euros. Mais cela va permettre à l’entreprise de donner d’elle une image plus sociale et plus humaine.
Pour illustrer mon propos au sujet des risques addictifs en milieu de travail, il conviendra, entre autre, de créer des campagnes de prévention et de donner les moyens et les outils aux personnes en difficultés de sorte à ce qu’elles sachent qui consulter, et quels sont les différents méthodes de soins. Il s’agira de les faire sortir de leurs silences contrits, qu’elles prennent acte de la stérilité de leurs culpabilité et de la nécessité de prendre soin d’elles mêmes. En un mot comme en cent, les aider à reprendre… vie !
De telles interventions sont le plus souvent considérées comme ingrates dans la mesure où les bénéfices en sont difficilement mesurables. Mais, ne s’agit-il pas d’en cesser avec le déni et l’ignorance feinte en ayant l’honnêteté de reconnaître que devant – ou derrière – chaque fonction, il y a des femmes, il y a des hommes, il y a des émotions, il y a des vies?
Autant de réalités auxquelles il convient d’apporter de la considération, de l’empathie, de la reconnaissance puisqu’il est notoire que c’est en cultivant le silence que l’on enrichit le problème.
Pour étayer cette invitation au changement, permettez moi de vous rappeler, ou du moins à toutes celles et ceux qui ne pensent qu’en termes de produits et de comptabilité, que les remboursements de la Sécurité Sociale française sont passés de 317 millions d’euros en 1980 à 1 milliard d’euros en 2013. Et que je sache, la population française n’a pas cru dans les mêmes proportions.
Fort de tels chiffres, à toutes celles et ceux chez lesquels le seul mot « argent » revêt un caractère divin, ne pensez vous pas qu’il est grand temps d’agir?