Il y a des phobies qui, plus que d’autres, constituent de véritables handicaps pour celles et ceux qui en souffrent. L’ereutophobie (peur de rougir) ou la peur de parler en public (glossophobie) en font partie, comme la laxophobie (peur de la diarrhée) ou, dans un autre registre social, l’agoraphobie (peur de la foule).
Chacune de ces phobies a son lot de conséquences psycho sociales toutes plus pénibles les unes que les autres. C’en est parfois tellement épouvantable pour les personnes qui en sont victimes qu’elles ne peuvent envisager aucune activité sociale, affective ou professionnelle.
Je vais en avoir en exemple assez époustouflant le jour de la première consultation de Lionel. Quand ce dernier me téléphone pour prendre rendez-vous, j’entends une voix fluette, comme trés lointaine, presque effacée. A peine s’est-il présenté que Lionel s’excuse, ce qu’il fera très souvent au cours de nos consultations comme lorsqu’il me téléphone pour me demander des précisions à propos d’exercices que je lui confie. Vraisemblablement, Lionel souffre de phobie sociale.
Définition de la phobie sociale
La phobie sociale, ou anxiété sociale, est une incapacité à être en relation avec les autres, avec tous les autres, et ce dans tous les domaines de sa vie. La personne affectée par cette phobie vit comme une douleur intense toute inter action avec les autres. A titre d’exemple, dire bonjour et acheter une baguette à la boulangerie relève d’un exercice particulièrement difficile et, dans certains cas, impossible.
Les personnes socialement phobiques ont toutes les peines du monde à affronter le regard des autres. De façon quasi permanente, elles craignent le jugement des autres. Elles ont toujours peur de mal faire ou d’exprimer des choses inadaptées en des moments les plus inopportuns. Ces personnes souffrent d’un manque d’estime d’elle même et d’un manque de confiance en soi qui leur rend quasiment impossible l’éventualité de soutenir la moindre relation sociale ou affective.
Isolées la plupart du temps, elles ressentent un très fort sentiment d’insécurité. Le seul havre de paix qu’elles trouvent est généralement leur lieu d’habitation. Ce qui a pour effet de les isoler encore plus et de nourrir encore plus leur phobie sociale.
Souvent prise en charge par des médecins psychiatres, elles se voient prescrire force médicaments (anxiolytique, hypnotique, anti dépresseurs, neuroleptiques). Dans tous les cas cliniques dont je me suis occupé depuis toutes ces années, rares ont été les personnes qui m’ont affirmé en avoir tiré un réel bénéfice. Comme je l’écris souvent dans ce blog, ce type de médicaments ne fait qu’apaiser les symptômes – et encore, je suis loin d’en être convaincu – et en aucun cas ne résout le problème.
Enfin, il n’st pas rare que ces phobiques sociaux, en plus de cultiver d’eux une estime très basse, conçoivent une forte honte et une très forte culpabilité quant à leur incapacité à avoir une vie comme les autres. Ils souffrent terriblement et sont très souvent convaincus qu’ils sont responsables d’échouer là où la plupart es autres réussissent. Quant à ce qu’ils pensent être une vie comme les autres, beaucoup reconnaissent qu’ils ne savent pas ce qu’est une vie normale. D’abord parce qu’ils fréquentent peu de gens, voire personne, ou parce que, plus précisément, c’est l’idée qu’ils se font d’une vie normale. Cela relève très souvent du fantasme d’une vie où ils pourraient s’affirmer, prendre des risques et en assumer les conséquences.
J’ai toujours été frappé d’observer que ces personnes souffrant de phobie et/ou d’anxiété sociale sont issus de familles dites dysfonctionnelles qui avaient participé, de façon directe ou indirecte, à empêcher le phobique de prendre des risques, à l’empêcher de s’affirmer en lui renvoyant le plus souvent de lui même une image abîmée dans le genre: « Fais ce que tu veux puisque tu n’y arriveras pas! ». Maintenant, il est vrai que toutes les familles sont dysfonctionnelles par nature. Dans le cas contraire, il n’y aurait aucune névrose et encore moins de névrose d’angoisse.
La phobie sociale est donc un symptôme. Le symptôme d’une angoisse profonde, voire d’une angoisse chronique qui, le temps aidant est devenue une anxiété généralisée.
C’est dans toutes ces circonstances affectives et psychologiques, voire pires comme je vais vous le démontrer maintenant, que Lionel est entré la première fois dans mon cabinet de thérapie.
La phobie sociale ou anxiété sociale. Une histoire personnelle pathogène
Quand Lionel se présente à moi, je rencontre un homme qui me semble meurt, comme blessé. Il a la tête dans les épaules, il est presque malingre, engoncé qu’il est dans une veste en laine blanche et grise dont on pourrait avoir l’impression qu’il la piqué à un géant!
Lionel semble gêné d’être là. Il va bientôt commencer à s’excuser parce qu’il range ses petites affaires autour de lui. Il s’attarde sur le bon positionnement du sac qu’il portait en bandoulière. La taille de son sac me fait penser à celle de sa veste. Immense ! Il prend le temps de sa caler au fond de son siège puis m’adresse un sourire gêné qui fait apparaître des dents abîmées. Il n’est pas rasé ce qui, sur le teint livide qui est le sien lui donne un air encore plus gris.
Pendant une heure, Lionel va s’employer à essayer de répondre à mes questions. Nous allons parler, il va souvent me dire qu’il ne comprend pas ce que je lui dis et parfois moins les questions que je lui pose. C’est au cours des deux consultations suivantes que je comprendrais que je n’avais pas à remettre en cause ma façon de le questionner et la qualité de ma pratique. Lionel m’expliquera plus tard qu’il voulait juste s’assurer qu’il comprenait bien ce dont je lui parlais tout en réfléchissant au(x) sens de mes questions et, accessoirement, à là où je voulais en venir.
Car il est intelligent le bougre ! Et non seulement il est intelligent, même très intelligent, puisqu’il manie avec une dextérité certaine l’humour au second degré, la dérision voire le cynisme. En ce qui concerne ce dernier point, comme le disait Benoit Poelvoorde: »… Le cynisme est la forme accentuée de la désespérance…« . Il n’en demeure pas moins qu’en fait, Lionel se méfie. Et il a de quoi se méfier. Et il a toutes les raisons de se sentir anxieux à propos de ce premier entretien thérapeutique.
Depuis des années, Lionel est promené d’un psy à l’autre, d’un psychiatre à un autre. Personne ne semble d’accord sur un diagnostic. Tantôt psychotique, tantôt border line, tantôt schizophrène, tantôt bi polaire, tantôt hospitalisé en hôpital psychiatrique, Lionel est baladé comme un touriste en terra incognita. Lionel a tout mais, en même temps, il n’a rien, mais il a quand même quelque chose. Une affection, mais laquelle? Les professionnels semblent ne pouvoir se prononcer et prescrire des actes en conséquence. Il sera hospitalisé à diverses reprises, contre son gré. Mais, qui se soucie de l’avis de Lionel?
Tout a commencé des années auparavant, à la suite d’une altercation très violente entre Lionel et l’amant de sa mère. Attention: toute interprétation quant à une éventuelle rivalité serait une erreur de diagnostic. Une de plus !
Cet amant semblait exprimer un certain mépris à l’égard du fils de sa compagne. Laquelle femme a semblé laissé faire des années durant avec d’autant plus de facilité qu’elle a toujours considéré que son enfant était quelque peu malade et qu’il ne pouvait être autonome et encore moins responsable. Il aurait donc eu besoin, au sens de la mère, d’être coaché par un adulte mâle référent… L’amant…
Soigné depuis des années pour dépression, Lionel m’a présenté le contexte familial comme un environnement assez destructeur entre une mère castratrice et un père absent. La mère, qui refusera toujours de venir me parler, semblait s’être échinée à empêcher son fils d’évoluer, de sortir du nid, le présentant comme une enfant chétif qu’il fallait protéger de lui même et du monde (cela me rappelle l’histoire d’une jeune patiente à qui sa mère avait toujours dit de se méfier des hommes car ces sont tous des salauds, des pervers et des… violeurs). Lionel me parlera de ses difficultés scolaires, non pas qu’il fut mauvais élève, mais plus de sa grande difficulté à nouer des relations avec des camarades de classe, lui qui restait toujours seul dans un coin comme caché, à l’abri de tous, en plus de faire souvent l’objet de moqueries, de quolibets comme Lionel aime à le dire.
C’est peu de temps après sa dernière hospitalisation que Lionel a décidé de venir me consulter. Nous avons mis en place une stratégie progressive pour le sauver de sa phobie sociale. cela a été dur, j’irais presque jusqu’à dire laborieux, mais Lionel, courageusement, s’est accroché. Et… çà a marché !
Comment Lionel a t’il cessé de souffrir de phobie sociale
Acte 1
Après que nous ayons fait le point sur le contexte de sa situation, j’ai commencé par demander à Lionel de réfléchir seulement à deux questions.Quand il m’a consulté pour la seconde fois, les questions avaient fait l’objet d’un nombre de réponses telles qu’il nous faudra beaucoup de temps pour les décrypter. Lionel s’était employé à répondre d’une manière si précise et circonstanciée que cela posait toute la difficulté mécanique de son problème mais, surtout, a mis en lumière tout ce qui participait à prendre le risque d’avoir de lui une image positive. Cela sera fondateur pour la suite de la mise en place d’actions stratégiques que je souhaitais mettre en place.
Dans l’intervalle, Lionel me téléphonait très souvent ou m’adressait des SMS. Il m’expliquait combien il était angoissé voire anxieux à l’idée de ne pas précisément faire ce que je lui demandais. Je passerais beaucoup de temps à dire et répéter à Lionel que je n’attendais pas de lui le mieux. Et que, tant qu’il voudrait tendre vers cette perfection comportementale, il en serait quitte pour des troubles anxieux et autres angoisses répétées.
Acte 2
Les séances passaient, deux puis trois puis quatre. L’atmosphère thérapeutique se détendait franchement ce qui m’a permis de demander à Lionel ce qu’il aimerait faire s’il avait de lui une image positive et s’il se sentait suffisamment en confiance, en sécurité. Après réflexion, il m’a expliqué qu’il aimerait quitter le domicile familial et avoir son appartement. Dans le même temps, il m’expliquait que sa mère cherchait vraisemblablement à l’empêcher de partir. En agissant de la sorte, Lionel a convenu que sa mère était dans sa logique et qu’il était stérile d’essayer de la faire changer d’avis.
J’ai donc demandé à Lionel de réfléchir aux moyens qu’il pourrait trouver pour poser les bases de son autonomie. J’avais bien précisé à Lionel que je ne souhaitais pas qu’il prenne un appartement trop vite. Je souhaitais juste qu’il cherche des moyens pour prétendre à la location d’un bien immobilier, sachant combien cela lui serait difficile puisqu’il n’avait aucun revenu, un statut de travailleur handicapé et des allocations qui ne lui permettaient pas de prétendre à quoi que ce soit à propos d’un lieu de vie.
Acte 3
De mémoire, le vacances d’hiver ont passé. Ce n’est qu’un mois plus tard que je revis ce cher homme, toujours vêtu de son immense veste en laine et de son immense besace. Et c’est à ce moment, tout sourire, que ce patient m’annonce qu’il a trouvé un travail (caissier dans un hypermarché) et que cela lui permet d’observer les inter actions sociales entre les êtres humains. Venant de lui, je trouve cela plutôt cocasse, et je ne suis pas très étonné qu’il ait cette démarche anthropologique. Je suis quand même stupéfait – positivement – de son audace ! Il va même jusqu’à me dire qu’il a repéré une jeune femme qui ne le laisse pas indifférent…
Acte 4
Au terme de la consultation précédente, j’ai demandé à Lionel de lever le pied et de ne pas tant s’en demander. Sa prise en charge thérapeutique, qui a vocation à apporter une solution à son anxiété sociale, n’est pas une course contre la montre, une compétition. Lionel sourit d’une façon d’autant plus encourageante qu’il a repris des couleurs et un peu de poids. Des semaines passent jusqu’au jour où il me téléphone pour me demander mon avis quand à satisfaire à une offre qui lui a été faite – mais présentée comme quasi obligatoire - une équipe thérapeutique. Intégrer un appartement thérapeutique.
Je fais montre d’un ton cordial, bienveillant mais assez ferme. Je dis à Lionel que je n’y vois aucune inconvénient mais je lui demande quand même quel est l’intérêt de répondre favorablement à une telle offre alors qu’elle est formulée par l’institution d’une part et que, s’il y répond par l’affirmative, il confirmera à ces gens qui le disent malade qu’il est malade et confirme qu’il est incapable d’être adulte et autonome d’autre part.
Lionel me dit que j’ai raison puis me raccroche quasiment au nez. Je me moque d’avoir raison, je veux juste qu’il bouge. Lionel a montré ses capacités progressives au changement. Il est entrain de s’affaisser, de se laisser manipuler par ses angoisses, par ses peurs, comme par ses proches qui, pour se sécuriser eux mêmes, sont près à ne lui laisser aucune chance de s’affirmer. Comme cela, chacun est à sa place et tout le monde se sent sécurisé sauf… l’intéressé.
Acte 5
Des semaines durant, je n’ai aucune nouvelles de ce patient. Ni coup de téléphone, ni SMS, ni mails. Jusqu’au jour où je reçois un mail m’invitant à aller regarder quelque chose sur internet.
Je ne sais pas de qui vient ce mail. Ce n’est pas nommément précisé. C’est une invitation assez originale, tant par sa présentation elle même que par son contenu. Ce n’est que plusieurs jours plus tard que j’y satisfais à la faveur de l’annulation d’une consultation par une patiente.
Ce que je découvre me laisse bouche bée. Belle typo aérée, c’est simple, c’est clair au premier coup d’oeil et, en plus il y a des vidéos dont une m’est dédicacée. C’est Lionel. Il parle de son nouvel appartement, de son parcours thérapeutique, de sa nouvelle vie en totale autonomie. Le tout d’une voix calme, posée.
Lionel a créé sa chaine sur Youtube sur laquelle il présente, de façon gracieuse, comment utiliser des logiciels très techniques (je ne lui connaissais pas cette compétence).
Lionel a avancé à pas de géant. Ce début de réussite, c’est à lui, et à lui seul, qu’il le doit. Malgré toutes les difficultés, il s’est mis en danger pour s’affirmer. Un pas après l’autre, sans se bousculer, il a compris tout les bénéfices qu’il pouvait retirer à analyser chaque pas, à l’assurer pour passer au suivant. Lionel a compris. Le reste suivra. C’est juste une question de temps. Lionel est rentré dans une dynamique que plus rien ni personne ne peut entraver. Lionel est libre et moi, je viens de perdre un patient, ce qui me fait content !
Epilogue
Cela n’a pas été une simple affaire thérapeutique que d’aider Lionel à ne plus souffrir de phobie sociale. Non seulement parce qu’avec son parcours tant personnel que psychologique, il me fallait y aller doucement mais que je devais aussi composer avec Lionel lui même qui, parfois, ne m’informait pas toujours précisément de ce qu’il faisait ou des projets qu’il menait.
Il aura fallu que je lui demande d’utiliser très précisément des exercices comme celui de la PSE ou, de façon progressive, apprendre à transformer ses problèmes en solutions. Lionel était littéralement bloqué sur ses relations affectives – familiales – qui entravait son développement personnel. Il lui aura donc fallu faire la paix avec son passé grâce à des exercices que je formaliserais plus tard avec le Programme ACE. C’est comme cela qu’il apprendra à s’affranchir de ses , de ses pensées obsessionnelles et que, petit à partir, il fera diminuer le handicap que lui infligeait sa timidité.
Lionel était bloqué sur des situations qu’il pensait inextricables. Il avait fini par se convaincre qu’il était malade. A preuve, l’institution n’avait elle pas diagnostiqué chez lui des pathologies psychiatriques graves qui nécessitaient des traitements lourds et un contrôle thérapeutique spécifique (cf: appartement thérapeutique).
Sa dernière hospitalisation sous contrainte lui a fait prendre la mesure du danger qu’il courait, et exprimer son désir de ne pas être celui que l’on voulait qu’il soit. Il a pu mettre fin à sa honte et à sa culpabilité en satisfaisant à des exercices thérapeutiques assez non conventionnels mais qui lui ont réussi. Cela lui tellement réussi que je me souviens avoir bataillé avec lui pour qu’il ralentisse le rythme de ses projets. Je craignais que s’il rencontrait des difficultés cela le bloque de façon définitive. J’ai pu constater que cela aura eu l’effet contraire. En se libérant de ses contraintes, Lionel a progressivement mis en place des façons de s’affirmer et permis, aussi, d’objectiver à propos de ce que les gens pouvaient ou non penser de lui.
Parfois, nous communiquons à l’aide de certains réseaux sociaux et j’apprécie beaucoup l’humour et la dérision dont il fait preuve à son endroit. Il a réussi à s’inscrire dans une démarche active pour apprendre à se sécuriser et à retrouver confiance en lui.
Enfin, Lionel est la preuve vivante que ce n’est pas en utilisant es méthodes rationnelles comme celle qui lui a longtemps été asséné par certains psy et qui consistait à essayer de se convaincre qu’il n’avait qu’à pas tenir compte de ce que les gens pouvaient penser. Facile à dire et totalement inepte thérapeutiquement. Ce patient ne faisait pas exprès d’avoir peur des autres. C’était sa réalité parce que des personnes comme des évènements répétés s’étaient chargés de le convaincre qu’il était incapable d’avoir un comportement normal et d’être autonome.
Aujourd’hui, je sais que Lionel est convaincu que l’avenir lui appartient et qu’il lui suffit juste d’y aller doucement, de ne pas s’en demander plus qu’il ne peut en supporter. Lionel sait aussi que lorsque cela va mal ou qu’il bute sur quelque chose, il lui suffit de ré utiliser tout ou partie des exercices que nous avions utilisé pour que les situations se débloquent. Un jour à la fois.
Gregory Bateson disait que « la vie est une succession de problèmes« . Il avait bien raison. Dans cette suite plus ou moins continu de problèmes, fruit de nos réalités respectives, nous essayons de nous adapter pour les résoudre. C’est exactement ce que ne savait pas faire Lionel et qu’il a appris à faire. Comme tout le monde ! En trouvant une solution à son problème d’anxiété sociale, Lionel est-il devenu un homme normal, presque banal?