Dans toute prise en charge thérapeutique, et à plus forte raison dans l’approche qui caractérise ma pratique, j’ai nommé la thérapie comportementale ou TCC, il est extrêmement important de s’assurer de la vision des choses du patient.
Cette vision des choses, c’est la carte du monde du patient. C’est la façon que la personne qui consulte a de penser, de réfléchir, de réagir ou encore d’agir. Si le comportementaliste que je suis ne s’intéresse pas à cet aspect, je passe à côté de l’essentiel, je passe à côté du patient et ne lui suis d’aucun secours.
De fait, chaque personne est dotée d’une personnalité. Cette personnalité s’est construite au fil des années, au fil des expériences abouties ou non, satisfaisantes ou pas. Les éléments qui caractérisent une personnalité et fondent la carte du monde d’un individu sont les suivants:
- Education
- Environnement
- Modes de vie
- Religion
- Culture
- Expériences
- Image de soi
- Image des autres
- Peur du jugement
Fort de tous ces éléments, face à une situation inattendue ou crainte, une personne aura deux modes de comportements possible. J’ai déjà parlé de cela à propos du stress. Il s’agit de la fuite ou le combat. Ces deux comportements devraient être conformes à la personnalité de la personne intéressée, ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut et pose, par conséquence, le problème de la croyance limitative.
Définition des croyances limitatives
A compter du moment où un évènement se produit, ou qu’une émotion traduit le trouble d’un individu dans un contexte et un environnement spécifique, des angoisses voire une crise d’angoisse peut survenir. A quoi cela correspond t’il?
Dans la construction d’une personnalité, deux éléments sont particulièrement importants: le bien et le mal. Ce sont deux notions régies à la fois des concepts affectifs et des concepts sociaux. Il y a donc des choses qui se font et d’autres non. Il y a des comportements qui se conçoivent, sont acceptables et d’autres non, comme il y a des émotions qui sont bien et d’autres mal.
Ainsi, dans beaucoup de familles, il n’est pas convenable d’avoir peur et de l’exprimer comme il est inconvenant de laisser sa colère prendre le dessus. De fait, il est exigé certaines retenues émotionnelles à des fins sociales. Tout comportement contraire à ces règles familiales sera considéré comme déviant – en dehors de la norme, la loi du plus grand nombre, la loi qui fait autorité – donc de l’éducation, et sera sanctionné en conséquence. Cela pose donc les bases d’une croyance limitative fondée sur le principe dramatiquement simple: « Je n’ai pas le droit » de… » ou du « Je ne dois pas… ». Cette notion, cet impératif affectif pose, à son tour, la question de la culpabilité et de la honte et, par extension, de la responsabilité et de la culpabilité (au sens de la faute). Ce qui pose aussi la question du plaisir et de la souffrance.
Je vais essayer de décliner toutes ces notions de façon claire mais sachez d’ores et déjà que ce sont elles toutes qui définissent les croyances limitatives.
Exemples de croyances limitatives
J’ai souvenir d’une jeune patiente qui souffrait de trouble alimentaire et plus précisément d’anorexie. Elle refusait de s’alimenter, ergotait d’une façon telle que ses repas lui prenaient des heures. Ses symptômes ne ressemblaient en rien à ceux connus dans le cadre d’un tel trouble alimentaire. Elle semblait ne rien souhaiter exprimer en particulier. Son trouble ne constituait pas une manipulation affective. Pour être bref, nous ramions quelque peu pour trouver des stratégies de résolution jusqu’au moment où le fond du problème a émergé.
Enfant, alors qu’elle semblait assez gourmande, sa maman avait beau tenter de la limiter dans ces quantités de nourriture, cela ne fonctionnait pas. Jusqu’au jour où sa mère lui a expliqué que sil elle continuait à autant manger, son ventre grossirait à un point où son corps ne pourrait plus le porter, son ventre. Cette jeune femme a longtemps été confrontée à une croyance limitative qui l’a empêché, pour partie, de s’épanouir. Elle ne mangeait pas par peur que son ventre trop lourd ne puisse supporter le poids et… tombe!
Elle avait conservé cette image infantile, cette perception quasi traumatique du drame induit si son ventre tombait. Dès lors, toute relation avec la nourriture était empreinte d’angoisses et de douleur. Elle qui avait tant plaisir, plus jeune, à s’alimenter, avait fait muer son plaisir en douleur sur la foi des assertions de sa mère.
Ainsi, manger la plongeait dans des angoisses conséquentes. Grandissant en âge, les moments de partages sociaux, comme les diners avec des amis, lui donnaient des crises d’angoisses. A la fois parce qu’elle savait qu’elle risquait d’avoir faim ou, pire, de ressentir du plaisir à manger. Or, dans sa vision infantile, cela était mal et elle ne pouvait que concevoir de l’angoisse à l’idée de ne pas savoir gérer cette situation. Et si elle contrevenait, elle donnait raison à sa mère, ce qu’elle ne voulait pas faire. C’est donc pour contrôler et sa peur, et sa relation à sa mère, que cette jeune femme est devenue anorexique.
C’est victime de troubles anxieux qu’elle vint me consulter. Elle avait bien conscience que quelque chose ne fonctionnait pas normalement. C’est perturbée qu’elle constatait que bien des gens ressentaient du plaisir en mangeant, nonobstant la dimension érotique de la chose alimentaire (soit écrit en passant, elle rencontrait aussi des problème avec sa sexualité). Les repas peuvent être une introduction au plaisir pour la plupart des gens, une introduction qui précède un plaisir plus grand encore, ne serait-ce que parce qu’il soulage la faim et que l’on s’en sent plus apaisé une fois repu. Pour elle, c’était tout le contraire. De fait, son angoisse avait cédé le pas à une phobie. Et cette phobie, cette angoisse chronique voire cette anxiété, n’était que le symptôme d’un autre problème.
Conséquences des croyances limitatives
Il y a une grande difficulté à passer outre les croyances limitatives et encore plus à les identifier clairement. Enfant, j’ai été élevé dans une religion qui m’avait très tôt inculqué la peur de mal faire. Ainsi, j’ai longtemps été convaincu que le très haut – c’est ainsi qu’il était appelé – voyait tout et savait tout. Donc, il savait tout ce que je disais ou faisais mal. Et il m’avait été asséné des années durant que si je faisais mal, je serais puni et risquerais, en fonction de mes péchés, de ne pas aller dans un endroit de rêve.
L’angoisse de savoir que quoi que je fasse ou dise était sous contrôle et que je ne pouvais rien cacher me faisait parfois ressentir des angoisses terribles au point que, comme pour me racheter, après chaque bêtise, je me montrais sage comme une image. Heureusement, l’adolescence est arrivée et j’ai pu me sortir de cette ornière en prenant le risque de m’affirmer, en allant contre ma propre vision des choses. L’objectif étant de me positionner clairement par rapport à qui je suis et non plus par rapport à qui l’on veut que je sois. Pour autant, à propos de certains de mes comportements, par rapport à certains de mes choix et de croyances limitatives que je croyais passées, je garde des séquelles pénibles à propos desquelles il m’est parfois difficile de ne pas me sentir coupable. Et cette culpabilité est un poison qui m’a été offert par mes pairs.
Un espace sans limites
Les croyances limitatives n’ont pas de limites. Avoir des croyances, croire en quelque chose au point d’en être convaincu, voire d’en faire un fer de lance, pourquoi pas? cela devient un problème à compter du moment où cela nuit à l’équilibre d’un individu, à son développement personnel. Contrevenir à une règle est un facteur d’angoisses dans la mesure où si votre décision est contraire à une règle dont vous ne vous êtes pas affranchi, vous avez toutes les raisons de vous inquiéter.
Pour éviter de vous inquiéter et de vous faire du mal, vous allez respecter cette règle au nom de la vision des choses que vous avez acquise au fil de l’âge. Cette vision des choses peut générer un conflit avec votre vraie nature. Ainsi, en cette période agitée liée à la Loi sur le mariage homosexuel, le psy que je suis ne peux que se poser la question de savoir si les personnes que cela dérangent sont les mêmes qui ne sont pas au clair avec cette sexualité. Ce qui expliquerait de telles véhémences voire de telles violences chez certains. « On n’est jamais dérangé que par ce qui nous ramène à nous mêmes« . Je ne sais plus qui a dit cela, mais cela sonne tellement vrai.
Dussé-je me faire beaucoup d’ennemis, le problème de la croyance limitative à propos de la sexualité n’est-il pas qu’au delà de la seule pratique sexuelle entre personnes du même sexe, le vrai problème réside dans l’acquisition, de droit, des mêmes droits pour tous, hétéros et homos. Ce qui, en termes de croyance limitative, pose la question de la légitimité. Que deux personnes de sexe opposé (rien que ce mot à ce propos est en soi tout un programme) fassent l’amour voire aient des enfants, c’est normal, c’est la nature. Que des personnes de même sexe fassent de même, c’est contre nature. Contre la nature de qui? Contre nature de quoi? L’amour a t’il un sexe? Y a t’il un sexe meilleur qu’un autre? Le sexe est-il bon ou est-il mauvais? Autant de questions à propos desquelles des peuples s’affrontent refusant à l’autre sa différence parce qu’elle renvoie à une carte du monde finalement controversée, différente. « Tu ne penses ni n’agis comme moi. Tu es différent, je ne peux t’accepter ».
Les croyances limitatives – Peur de la différence ou peur d’être soi
Ne pas savoir ou ne pas pouvoir répondre à ces questions peut faire le lit d’angoisses comme de crises d’angoisses. En effet, quoi de plus angoissant que d’avoir un discours et un comportement fermés que l’on vend comme une évidence à qui veut bien l’entendre alors que, sur le fond, dans son intimité à soi, on peut ressentir un trouble à la différence. Les croyances limitatives sont donc objets de souffrances mais pas seulement.
Dans un je ne sais quantième paradoxe, les croyances limitatives ont aussi un bénéfice caché. Il est extrêmement important de le comprendre et c’est précisément ce que facilite l’approche systémique de Palo Alto. Le bénéfice caché d’un problème, c’est ce dont il protège. Cela signifie que tout problème protège sa victime. En conséquence, peut-on envisager que les croyances limitatives protègent du changement? De la peur de changer? De la peur d’évoluer? De la peur de la différence? Les paris sont ouverts.
Les croyances limitatives seraient elles donc un problème à compter du moment où elles bloquent un système dans son évolution? Au sens où elles sont un facteur de résistance au changement. La croyance limitative a donc une double fonction paradoxale. Un peu comme une double contrainte. Changer est un problème. Ne pas changer est un problème. Dans tous les cas, il y a donc de quoi être sujet à l’angoisse comme à la crise d’angoisse.
Pour conclure de façon provisoire, dans une telle situation, être angoissé ou victime de crise d’angoisse est donc normal. Devons nous donc conclure que les croyances limitatives constituent des freins à l’évolution de l’espèce?
P.S: le comportement est constitué par la façon que nous avons de répondre à une sollicitation donnée dans un contexte et un environnement donnés. Ainsi, on ne répondra pas de la même façon à une personne qui nous injurie en fonction de la relation que nous avons avec cette personne et en fonction de l’image que nous avons de nous comme du lieu dans lequel on se trouve à ce moment là et enfin des objectifs associés à cette inter relation.
C’est ainsi que sur la foi de croyances limitatives, on peut craindre de s’affirmer face à la personne qui injurie au nom d’une morale puis obséder à propos de cet évènement car on pourrait estimer n’avoir pas su y faire face. Mais, cela, cette pensée, c’est très personnel et individuel au sens de l’intimité. C’est en cela que les croyances limitatives sont aussi un problème car elles sont comme… secrètes, taboues. On sait bien qu’elles nous font du mal mais on s’y accroche par peur… du changement… D’où angoisses et crises d’angoisses, prix de la résistance, prix de la peur du changement.