Jérome est jeune. Il a 24 ans, est interne en médecine. Cette année, nous passons nos vacances en Haute Savoie où nous avons la chance de pouvoir faire du bateau. C’est mon plaisir depuis que j’ai 12 ans, la météo s’y prête, le temps est beau, le lac est calme. Pas un nuage à l’horizon. Jérome est arrivé le matin même avec sa compagne. Ils sont amis avec ma fille ainée, elle aussi étudiante en médecine. Le déjeuner s’est déroulé fort agréablement au bord du lac. Depuis que j’ai fini mon plat, je m’impatiente à l’idée d’aller naviguer, et essaye de faire pression sur mes hôtes. Sans succès. Tout comme les membres de ma famille, Jérome m’oppose un vague « … on a le temps… ». Sur le coup, je me dis qu’il a raison mais qu’il faut profiter du lac tant qu’il n’y a pas de ces coups de vent auxquels ce plan d’eau nous a habitué. Ce n’est que plus tard,vers le milieu d’après midi, que je comprendrais pourquoi l’ami de ma fille souhaitait prendre son temps.
La peur de l’eau ou aquaphobie
La palisse dirait que l’eau est un élément naturel à l’homme et qu’en conséquence ce même être humain ne devrait pas craindre ce qui fait partie non seulement de son environnement mais de lui même. L’eau est constitutif de l’homme, il n’y a donc pas de raison d’en avoir peur. Et pourtant.
Quand, enfin, nous montons à bord, au moment de partir, ma fille me glisse doucement un message dont elle a le secret. Sur le coup, accaparé par notre départ, je réponds par un vague « OK ». Tout le monde semble détendu. Destination le milieu du lac où nous pourrons profiter du beau temps, du calme et… de la baignade.
Aussitôt dit, aussitôt fait. J’entends le clapotis de l’eau sur la coque, il y a peu de bâtiments sur le plan d’eau. Certains discutent, d’autres se font bronzer ou lisent, ou les deux. En ce qui me concerne, je savoure une légère brise puis entreprend une petite sieste tout en surveillant les alentours. Je suis responsable du bord.
A un moment, mon épouse et notre fille entreprennent d’aller se baigner. Faites donc me dis-je et de proposer à qui le souhaite une activité nautique. Pas de réponse. Je regarde Jérome et je vois bien qu’il n’a pas l’air très à son aise. C’était sans compter sur le regard plein de désapprobation de ma fille qui me rappelle – doucement malgré son regard – ce qu’elle m’a dit au moment où nous quittions le quai: « Papa, je te rappelle que Jérome a peur de l’eau ». Oups!
Je me rassieds en me disant que j’ai été maladroit. Peu de temps après, Jérome est invité par sa compagne à se baigner. Il lui sourit, de ce sourire gêné que nous sommes tous capable d’avoir quand nous ne savons comment ni par quel moyen décliner une invitation ni comment nous affirmer. Sa compagne insiste. Il sourit, pose le livre qu’il était entrain de lire et déplie son corps (il mesure 1,85 m). Je vois bien qu’il ne semble pas très assuré à bord. Tout le monde n’est pas obligé d’avoir le pied marin.
Jérome escalade la banquette arrière du bateau. Sa compagne est dans l’eau et, non sans lui adresser de grands sourires, l’invite de façon de plus en plus pressante à se baigner. Mal assuré me semble t’il, Jérome s’assoit et pose ses pieds dans l’eau. Et c’est là que les symptômes de sa peur de l’eau s’expriment.
Les symptômes de la peur de l’eau
A peine les pieds posés sur le dessus de l’eau, Jérome éprouve des difficultés à respirer. Sa respiration devient haletante, son ventre se gonfle et se dégonfle à un rythme très rapide. Il avance un pied qu’il pousse un peu plus dans l’eau. Tente le second puis l’enlève. Puis recule enfin, pour s’asseoir plus au fonde de la plage arrière du bateau comme s’il avait peur de tomber. Sa compagne insiste. Il fini par dire qu’il ira plus tard et veut lire. Elle accuse réception de son message non sans lâcher un « dommage » puis continue à se baigner.
Je profite pour entreprendre Jèrome non pas sur sa peur de l’eau – son aquaphobie – mais sur le côté noir et profond des lacs. Je commence à lui expliquer que bien que je souffre pas d’aquaphobie, je suis malgré tout légèrement angoissé à l’idée de me baigner dans une eau aussi noire. Je lui explique mes peurs d’enfant comme si je craignais qu’un monstre marin sorte de l’eau et me dévore. Jèrome rit.
J’enchaine en expliquant à Jérome que beaucoup de personnes souffrent d’aquaphobie et qu’effectivement, ils ont raison d’avoir peur. L’eau a beau être un élément naturel, ne dit on pas que quand l’eau a trouvé son chemin, plus rien ne l’arrête?
Jèrome et moi devisons sur les risques de la baignade, de la peur de se noyer, des angoisses ressenties au seul contact de l’eau. Nous nous questionnons l’un l’autre sur la signification de ces angoisses jusqu’au moment où l’un de nous pose la question de savoir quel comportement il faudrait adopter quand quelqu’un fait une crise d’angoisse voire une attaque de panique au contact de l’eau. En voilà une question embarrassante.
Je pose donc la question à Jèrome de savoir comment lui ferait en pareille situation. N’y voyez aucun cynisme de ma part, c’est juste pour l’aider et identifier ce que l’on appelle des tentatives de solutions qui n’ont pour effet, malheureusement, que d’ancrer la personne aquaphobe dans son problème.
Jérome me regarde droit dans les yeux. J’ai l’impression qu’il me défie et me répond: « J’ai peur de l’eau« . Et moi de lui répondre que je suis bien embarrassé de l’avoir fait monter sur le bateau. Il me répond que de toute manière, il faut bien qu’il lutte contre un mal qui l’empêche de vivre certains loisirs. Première erreur.
Seconde erreur, Jérôme m’explique qu’il s’ordonne, quelle que soit l’intensité de son angoisse, d’aller dans l’eau. Je le questionne sur les symptômes qu’il ressent. Il m’explique, de façon très académique – je vous rappelle qu’il est médecin -, son oppression respiratoire, celle de sa cage thoracique, les angoisses qui l’étreignent en pareille situation. Par contre, il ne s’explique pas pourquoi il a peur. Il n’a jamais rencontré de problèmes particuliers avec l’eau. N’a jamais manqué de se noyer, et ne s’est pas non plus retrouvé en perdition en plein milieu d’un plan d’eau. Il n’a pas non plus été victime d’un accident nautique. Pour autant, la seule idée d’aller à l’eau le terrorise. Donc, rien, d’après lui, ne le prédispose à souffrir autant d’aquaphobie. Et pourtant.
Nous continuons un peu à discuter puis, délibérément, je propose que nous allions ailleurs. Tout le monde est d’accord. Pour les connaisseurs, nous nous rendons au fond du lac, en direction de Doussard (pour ceux qui connaissent). Ensuite, nous projetons d’aller boire un verre à Annecy même.
Ce qui devait arriver arrive, Jérome est de nouveau – cordialement – invité à se baigner. Je lui oppose que rien ni personne ne saurait l’y obliger et que s’il le souhaite, il reste à bord. Jèrome refait les mêmes gestes que la première fois. Il est tout aussi mal assuré. Il respire fort et rapidement. Il a toutes les peines du monde à décoller ses fesses de la banquette. Et, au moment même où il décide de se laisser glisser dans l’eau, du sang coule de son nez. Il n’y prête pas attention et s’immerge. Inquiet, je le surveille de loin. Sa compagne vient rapidement le saisir dans ses bras tout en lui exprimant son contentement.
Courageux, Jèrome s’agrippe à la coque du bateau puis pousse sur ses jambes pour être autonome. Il est désormais seul, à peine à 2 mètres du bateau. Il fait des gestes avec ses bras et ses jambes comme s’il était entrain de se noyer. Vraisemblablement, il lutte. C’est tout à son honneur mais totalement inutile. en agissant de la sorte il participe à aggraver ses symptômes puisqu’il essaie de se convaincre que tout va bien alors qu’il ressent que tout va mal. Il se rend compte qu’il saigne et entreprend de remonter à bord. Nous l’aidons. Tremblant, enroulé dans sa serviette de bain, il s’assied au fond de la banquette arrière. Il y restera une bonne heure, le temps que ses symptômes d’angoisse s’apaisent.
La peur de l’eau a t’elle un intérêt
Une peur, ou une angoisse, a toujours un intérêt. Un intérêt caché que nous, comportementalistes, dénommons « un bénéfice caché ». Ce bénéfice est, bien évidement inconscient. Par bénéfice, nous entendons que la personne qui rencontre un problème se protège grâce à son problème.
Ainsi, une personne souffrant d’aquaphobie va se protéger de sa peur en ne se rendant pas dans l’eau ou, à tout le moins, en évitant de se confronter à ce qui la terrorise. Or, il existe un paradoxe assez prodigieux et très intéressant à propos de la phobie comme de l’angoisse, de la crise d’angoisse ou encore des attaque de panique. C’est que cette même personne qui se protège de son objet phobique, va essayer de retrouver le même bénéfice qu’elle a eu initialement grâce à sa peur de l’eau. Il en irait de même si cette personne souffrait de phobie des transports, de la phobie des araignées, ou d’une façon plus générale de la phobie des insectes ou, autre exemple, de la peur du feu ou de la peur des oiseaux. Je m’explique.
Prenons le cas d’une personne alcoolique. Il ne s’agit pas d’une comparaison à proprement parler. Je ne fais qu’utiliser une image pour essayer de vous faire comprendre quelque chose d’important. Une personne identifie qu’un jour, grâce à la prise d’alcool, elle peut être ou faire dans un état second (cf. désinhibition) des choses qu’elles ne diraient pas ou ne feraient pas dans un état normal. Cet évènement constitue ce que nous appelons le premier des plaisirs.
Ainsi, à chaque fous que la personne pourra éprouver le besoin de s’affirmer dans sa vie, elle utilisera le même processus de prise d’alcool. Cependant, le temps aidant, à force d’usage réitérés, le corps va prendre l’habitude du produit qui n’aura plus les mêmes effets à un instant « T ». C’est ce que l’on appelle le principe d’assuétude. La personne augmentera donc le volume du produit pour retrouver les mêmes bénéfices que la toute première fois. Plus le temps passera, moins le produit fera effet, plus il faudra en consommer. L’objectif étant à chaque fois de retrouver, ou tenter de retrouver, le tout premier des plaisirs, celui là même qui vous aura protégé de votre problème qu’est votre peur.
Malheureusement, avec le temps, vous perdrez le bénéfice initial au profit d’un vrai problème de phobie lié à votre désir de contrôler le produit même de votre peur. Confronté à cette réalité, vous refuserez de lâcher prise et aggraverez votre peur comme vos stratégies de contrôle ce qui aggravera les symptômes de la phobie. C’est comme cela que, parfois, des gens peuvent avoir peur d’un pédiluve ou d’aller se baigner à la piscine.
Tout comme la peur en avion, nul n’est besoin de tenter de les rassurer en leur vendant l’idée qu’ils n’ont rien à craindre du fait de la présence de maitres nageurs. Cela ne fera qu’aggraver leur honte voire leur culpabilité. Se sentant incompris, ils revendiqueront leur problème comme étant impossible à régler. Il y a fort à parier que ces mêmes personnes dénient la réalité du problème et persistent à essayer d’y trouver un avantage alors qu’elles savent depuis longtemps qu’elles ont perdu la maitrise d’une part et que leur phobie constitue un handicap plutôt qu’un vrai intérêt d’autre part. Le déni en l’espèce étant représenté par un orgueil toxique. En cela, ces personnes expriment leur peur d’être jugées voire d’être mises à l’index. Elles s’auto appliquent donc une sorte de comportement victimologique pour se protéger.
Alors oui, la peur de l’eau a son intérêt, comme bien d’autres peurs ou phobies. Encore faut-il comprendre lequel. A compter de ce moment, ou à compter du moment où les désavantages prennent le pas sur les bénéfices, c’est à dire que vous obtenez l’inverse de ce que vous souhaitez, des solutions sont envisageables.
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